L'ÉCRITOIRE SÉGALINE

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Le Déjeuner de Sousceyrac

Samedi 24 Juillet 2010

Sousceyrac, Prunet

                 Les choses sont curieuses parfois : j'habite à quelques kilomètres à peine de Sousceyrac et je savais qu'il existait un roman bien connu qui s'y déroule, "Le déjeuner de Sousceyrac" de Pierre Benoît. Pourtant je n'avais jamais eu ni l'occasion ni la curiosité de le lire. Il faut dire que je me méfie des romans dit "régionaux" et encore moins sur ce qu'on appelle "les romans de terroir" car j'ai toujours l'impression que les sujets se répètent : la vie rurale, le monde paysan, souvent en période de guerre, etc. 

     Certes Pierre Benoît, illustre académicien (mais est-ce une référence?) n'a pas grand chose à voir avec le genre d'auteurs pré-cités (que néanmoins je respecte parfaitement) et ses romans non plus. De lui j'avais lu L'Atlantide et n'en avais gardé que le souvenir d'une lecture agréable, rien de plus. Mais l'autre jour, alors que délaissant mon stand assailli par les visiteurs à la foire du livre de Saint-Sozy je suis allée faire un tour chez les bouquinistes voisins, je suis tombée sur un exemplaire de ce roman : la curiosité (qui a dit le désoeuvrement?) m'a fait me dire « Bon c'est trop bête, je vis à côté de Sousceyrac, ce serait idiot de ne pas aller jeter un coup d'oeil à ce livre ». Je l'ai lu en quelques jours, et je dois dire que là encore j'ai trouvé cette lecture très agréable. J'ai été en outre ravie de pouvoir si bien visualiser les lieux où se déroulent les différentes scènes et que je connais fort bien pour y passer régulièrement : noms de familles, lieux, tout me semblait familier, ça m'a causé une drôle d'impression car j'ai l'habitude de lire des romans dont les actions se déoulent dans des lieux que je ne connais parfois que de nom, ce qui me dépayse quelque peu même si ce n'est pas vraiment le but recherché.

     Ce que j'ai aimé surtout ce sont les première pages dans lesquelles Pierre Benoît dresse un portrait du Ségala et de ses habitants : 

     
« C'est un sauvage et dur pays que le Ségala, l'un des plus écartés, des plus ignorés de France. À la lisère du Cantal et du Lot, il n'est plus le Quercy sans être tout à fait l'Auvergne. Abrupt plateau de roches schisteuses, de granits, de grès, il s'élève par étages, sous les nuées, avec ses noires châtaigneraies, les maigres champs de seigle auxquels il doit son nom, ses landes qu'au crépuscule les troupeaux désertent, et dont les bruyères agitées sans fin par le triste vent de la nuit demeurent seules sous les étoiles.

     À cette rude région correspond une race plus rude encore, une race hostile aux innovations, farouchement cramponnée au sol. De Labastide du Haut-Mont, qui est la commune culminante de la région, on aperçoit, paraît-il, quand le temps est clair, les Pyrénées. Mais qu'importe à l'homme du Ségala, cette fantasmagorie bleue et rose ! Il ne se laisse pas séduire ; il n'émigre pas ; il n'abandonne pas son aire. On raconte qu'il existe là-haut, dans la forêt, entre Gorse et Sénaillac, de vieilles paysannes qui ne savent même pas ce que c'est que le chemin de fer.

     Truites et écrevisses peuplent à foison les torrents du Ségala ; ses taillis regorgent de sangliers ; les bécasses se coulent parmi les ronciers ; les perdrix grises se hâtent parmi les airelles. Le rare touriste que le hasard aura conduit dans cette étrange contrée peut sans remords garder un souvenir attendri de ces succulents trésors. Les gens du lieu les lui prodigueront avec d'autant plus de munificence que, personnellement, ils ne songent guère à en abuser. Ils n'ont d'amour que pour le lopin de terre qu'ils possèdent, il n'ont de haine que pour leur voisin, détenteur du lopin de terre qu'ils convoitent. Tel est leur grand, leur unique souci. La passion du sol à conserver, à conquérir, les a marqués de façon profonde. Elle a fait d'eux des avares effrénés. Et cette avarice à son tour les a rendus plus processifs que les habitants de n'importe quelle autre province. Il n'est point d'études de campagne qui chôment moins que celles des notaires du Ségala. Sur leurs bancs de hêtre luisants, elles voient, aux jours de marché, s'asseoir une clientèle opiniâtre. Les yeux brillent d'un feu taciturne sous les chapeaux de feutre noir. Le poing se crispe sur le bâton de houx. Les dents serrées ne laissent passer que les paroles comminatoires. De Tulle à Figeac, d'Aurillac à Cahors, gens du causse, de la montagne ou de la plaine connaissent et raillent ce sombre esprit de chicane dont sont possédés leurs âpres voisins ; on réprouve le peu de scrupule des moyens qu'ils mettent en oeuvre pour le satisfaire. On ne craint pas d'insinuer que l'étymologie de Latronquière, leur rustique capitale, pourrait bien être LATRONUM QUIES, « asile de larrons »... Eux laissent dire. Ils ne daignent pas protester contre une réputation exagérée peut-être, mais qu'en tout cas les événements dont on va lire le récit ne contribueront guère à démentir.

     Encore un coup, d'ailleurs, que leur importe ! N'ont-ils pas assez à faire avec leurs querelles, avec leur lutte contre un climat, une nature qui durant un tiers de l'année, les retranche du reste du monde ? La neige assiège les villages au fond des vallons, bloque les fermes qui, de décembre à mars, ne recevront plus la visite du vétérinaire, ni quelques unes même celle du facteur. Totalement dépouillés de leurs feuilles, les arbres balancent sur le ciel blême des rameaux qui ont l'air d'avoir été calcinés par un incendie, si noirs qu'ils semblent fous d'espérer du printemps qu'il les fasse jamais refleurir.

      Et pourtant, il opère ce miracle. Il revient, et il est adorable, avec la soudaine invasion de ses colchiques, de ses centaurées ressuscitées, de ses ruisselets qui dégringolent de toutes parts dans les prairies et se perdent en chantant sous les aulnes...Mais cette saison privilégiée, ainsi que l'été qui la talonne, dure peu. Très vite, l'odeur du bois mouillé, des feuilles sèches que l'on brûle, annonce le retour de l'hiver. Une sarcelle qui s'envole, une écharpe de brume autour des côteaux, une écharpe de laine au cou des enfants qui regagnent l'école, et de nouveau le Ségala se replonge dans son mystère, dans son engourdissement, dans sa mort. »

     Ça vaut son pesant de cacahuettes, hein ? Certes ce texte date de 1931, et depuis quelques progrès sont arrivés dans le Ségala, ainsi les vieilles paysannes dont parle Pierre Benoît ont peut-être enfin eu connaissance de l'existence du chemin de fer... à moins qu'elles ne soient mortes de froid dans leur ferme bloquée par la neige ! Les choses ont tout de même un peu changé, rendez-vous compte, il y a même Internet à Teyssieu, alors...

     Je ne me lancerai pas dans une analyse qui reprendrait point par point la vision que cet auteur nous livre de ma région, ce serait bien trop fastidieux mais si quelqu'un du coin est tenté, je serai ravie de lire sa prose ! Ce qui ressort de tout ça c'est qu'en fait qu'il s'agisse du Ségala, de l'Auvergne, du Poitou ou de l'Alsace, à chaque fois qu'on évoque la campagne on a l'impression qu'il s'agit d'un autre monde, de préférence le bout du monde !

     Bon tout ça n'est que littérature, et ce tout ce qui est mentionné n'est pas foncièrement faux, le Ségala reste pourtant une bien belle région pour qui aime la nature et la tranquilité.

      Et heureusement que tout cela est bien écrit, car autrement, en langage plus banal  cela reviendrait à dire « Le Ségala est un trou complètement paumé où on se caille, où il n'y a rien à faire et qui est peuplé de vieux paysans radins et de bêtes sauvages ». Mais ça ce n'est absolument pas vrai...non, non, ça c'est le Cantal, ou l'Aveyron, rien à voir.
 

P.S: Voisins Auvergnats et Aveyronnais, ceci n'est comme d'habitude qu'une boutade...je préfère préciser avant de recevoir des mails d'insulte...

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