L'ÉCRITOIRE SÉGALINE

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Français et langues régionales

Samedi 16 Avril 2011

J'ai toujours aimé les langues. D'abord ce furent les langues étrangères : en découvrant l'anglais au collège j'ai enfin pu commencer à saisir le sens de toutes ces chansons anglo-saxonnes que j'écoutais sans arrêt. Puis il y eut l'espagnol découvert en classe de 4e, que j'ai beaucoup aimé par ses sonorités qui me semblaient si familières, à moi qui suis née dans le sud, au sud de la Loire s'entend.

Et puis en terminale j'ai découvert par la biais d'une option l'occitan. Et là vous me direz que ce n'est pas une langue étrangère. Oui et non. Certes ce n'est pas une langue étrangère et ce à plusieurs niveaux : elle n'est pas étrangère car elle est parlée à l'intérieur du territoire français, mais surtout elle ne m'était pas étrangère à moi. En effet je suis naturellement bilingue puisque depuis ma plus tendre enfance j'entends cohabiter l'occitan et le français.

Mes parents font partie de cette génération à laquelle on a interdit l'usage de leur langue maternelle, le seule qu'ils connaissaient, et à laquelle on a imposé l'emploi du français. À la maison nos parents discutaient entre eux exclusivement en occitan, et s'adressaient à nous en français, tout aussi exclusivement. Ils m'ont souvent raconté qu'à l'école ils étaient sévèrement punis (et on sait bien qu'à cette époque il ne s'agissait pas d'un simple avertissement sur le carnet...) si le maître, intransigeant et garant de cette belle unité républicaine, les surprenaient en train de parler occitan, enfin « patois » comme on disait avec mépris, à la récréation avec leurs camarades. À force de voir leur langue méprisée ils en ont conçu eux-mêmes un certain mépris, preuve que le travail de sape a bien porté ses fruits, et lorsque je leur ai dit que je prenais l'option occitan pour le Bac ils ont été très surpris et je crois bien qu'ils n'ont pas compris les raisons qui m'y poussaient. Raisons multiples dont je n'étais moi-même pas totalement consciente à ce moment-là sans doute. Pour eux l'occitan c'était une langue méprisée et sans doute méprisable puisqu'on la leur avait interdite, elle n'était à leurs yeux qu'un patois parlé par les paysans et les anciens, deux catégories déjà quelque peu méprisées par ailleurs. Je crois bien que leur première réaction a dû être :  « Mais à quoi ça va te servir ? ». J'ai probablement dû les rassurer en leur disant que cela m'apporterait des points facilement pour ce sacro-saint Baccalauréat.

En Terminale on nous a donc fait étudier des textes, ce qui m'a permis de découvrir qu'on ne faisait pas que parler occitan, on pouvait aussi l'écrire, ce que je n’imaginais même pas alors. Mais je dois dire qu'on en est tout de même resté à quelque chose de relativement folklorique, toujours plus ou moins centré autour de la ruralité et du monde paysan. J'étais un peu frustrée.

À la fac j'ai persisté et je me suis dit que c'était là le lieu et l'occasion d'en savoir un peu plus sur cette langue. Et là ce fut le choc : je découvris que c'était une langue écrite dès le Moyen-Âge, qu'elle servait à des textes du commerce et de la vie quotidienne comme aux textes littéraires, et quelle littérature ! Poésie des troubadours, pièces de théâtre et œuvres satiriques, ça foisonnait ! C'était donc bien une langue à part entière, pas un quelconque patois parlé uniquement pas de vieux paysans incultes.

Par la même occasion j'ai découvert les langues régionales dans leur ensemble, avec pour toutes la même histoire à peu près : de belles langues parlées et écrites sur différents territoires, plus ou moins vastes, et toutes devant leur déclin à une décision politique, la volonté du roi d'imposer à tout le pays sa langue à lui. À partir de l'ordonnance de Villers-Cotterêts voulue par François Ier en 1539, plus aucun texte ne devait être rédigé en un autre langue que le français : exit le latin et indirectement les langues régionales, au moins à l'écrit. Ainsi voilà le francilien plaqué brutalement par dessus toutes ces langues, dans le but officiel de simplifier l’administration du pays (on voit bien que même en parlant tous la même langue aujourd'hui l'administration n'en est pas pour autant plus simple, mais ceci est un autre débat). N'étant plus écrites ces langues connurent un rapide déclin et furent reléguées à un usage presque honteux avec le temps : les édiles et la noble société de l'époque ne se sentaient pas la bassesse de parler le même idiome que leurs paysans ou leurs soubrettes ; utiliser la langue officielle, celle du roi et de la cour, c'était se donner des airs de courtisan et de prince dans les moindres recoins de sa province. Peu de siècles ont suffi à reléguer touts les langues régionales au rang de méprisable « patois ».

Encore aujourd'hui mes parents, leurs voisins, tous ceux de leur génération qui ont dû subir l'apprentissage du français, ne disent jamais qu'ils parlent occitan mais ils avouent tout juste contraints et forcés qu'ils ne parlent « que patois ». Ils n'ont pas conscience de la richesse que constitue leur bilinguisme et combien ils sont porteurs d'un bel héritage, mais comment pourrait-il en être autrement : des décennies de destruction consciencieuse à l'école de la République ont fait leur œuvre.

Après mon diplôme universitaire en langue et culture occitane en Licence je persistais dans cette voie et mon mémoire de Maîtrise était intitulé « Le lexique agricole du Haut-Quercy », ce qui me valut une double incompréhension de la part de mon entourage car je réunissais là deux domaines qui leur semblaient peu dignes d'intérêt : le monde paysan —c'était pourtant le leur— et l'occitan —c'était pourtant leur langue.

Mais durant ces années à l'Université j'ai aussi découvert, à travers l'étude de l'ancien-français notamment, l'infinie richesse des autres langues régionales, une variété que je ne soupçonnais pas : breton, basque, corse, occitan, mais aussi picard, normand, provençal, berrichon, niçois, franco-provençal et tant d'autres, autant de langues que de régions de France, avec chacune leur grammaire, leurs mots, leurs sonorités propres et leur musique, je découvrais des pays étrangers au sein même de mon propre pays. Du coup cet idiome parlé dans ce tout petit coin de France et qui avait réussi à s'imposer artificiellement par la seule volonté d'un seul homme me sembla bien dérisoire.

Paradoxalement c'est la découverte de ces multiples visages linguistiques de la France qui me fit aimer le français, car cette langue qui s'est imposée à ce territoire unifié a tout de même su s'enrichir de vocables hérités des langues régionales, selon le même phénomène que les emprunts aux langues étrangères : nombre d'expressions survivent et portent les traces de cet héritage, comme un pied de nez à cette langue qui a voulu les évincer.

Mais surtout ce qu'il reste de plus beau ce sont tous ces accents, ces intonations et ces phrasés qui font que de Rennes à Montpellier en passant par Bourges ou Dunkerque on parle tous la même langue sans jamais la prononcer de la même façon, et ça, ça me semble être une richesse incroyable. Et c'est pour cette raison que je trouve ridicule ce « parler pointu » qu'on impose aux journalistes et aux présentateurs TV, une langue tellement formatée et lisse : plusieurs fois j'ai surpris une présentatrice s'excuser presque de prononcer « côte » avec un o ouvert parce qu'elle était d'origine bordelaise... J'ai trouvé ça tellement navrant.

On nous parle aujourd'hui de diversité et on souhaite avec raison voir davantage de personnes qu'on dit poliment « issues de l'immigration » sur nos écrans, c'est parfait mais n'aurait-on pas pu commencer par laisser parler les présentateurs avec leur accent ? Est-ce qu'on n'aurait pas été capables de comprendre les informations du JT si le présentateur énonçait un parfait français avec un parfait accent méridional ou alsacien ? Je ne crois pas qu'en pareil cas il soit nécessaire de mettre des sous-titres comme on le voit parfois lorsque des Québécois s'expriment. Et d'ailleurs le Québec, ce n'est presque qu'une autre région de France, au moins linguistiquement parlant.

 

 

 

 

 

 

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