L'ÉCRITOIRE SÉGALINE

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Claude Duneton

Lundi 28 Mars 2011


Je me suis plongée avec délectation il y a de cela quelques temps dans le piquant La Puce à l'oreille de Claude Duneton, une sorte de dictionnaire qui n'en est pas vraiment un, une « Anthologie des expressions populaires avec leurs origines » ainsi que l'indique le sous-titre. Si vous êtes comme moi épris des mots et des expressions de notre langue ainsi que de leurs tribulations au long de l'histoire, ouvrez donc ce livre vous en aurez pour votre argent. Les expressions populaires et courantes y sont analysées, leurs origines expliquées, le tout dans un style des plus plaisants, loin de toute pédanterie, c'est très souvent drôle et au final il n' y a pas une page, que dis-je un paragraphe, où l'on n'apprenne quelque chose.

L'idée m'a pris d'aller faire une recherche sur cet auteur. Et là qu'est-ce que j'apprends ? Claude Duneton est un presque voisin puisqu'originaire de Lagleygeolle dans la Corrèze. Cette même recherche m'a appris que cet écrivain était aussi un singulier personnage : instituteur, professeur d'anglais, comédien, journaliste, essayiste, auteur dramatique, entre autres choses. Ce qui reste une constante en tous cas chez lui c'est son amour des mots et d'une langue qu'il a dû apprendre puisque né en 1935 sa langue maternelle est l'occitan dans sa variante limousine. Claude Duneton est un érudit mais qui jamais ne prend son lecteur de haut, au contraire : à sa lecture on se sent proche de ce fils de famille très modeste, et ce sont sans doute ses origines qui ont axé son travail de linguiste sur le parler populaire.

Et parce qu'il aime la langue et les mots, il s'irrite de cette tendance à voir les mots vider de plus en plus de leur substance, notamment dans les médias. Voici ce qu'il écrivait dans le Figaro littéraire en décembre 2002:

En danger de silence -

Il faut croire que les mots n'ont plus ni sens ni intérêt. Dans la gabegie communicante que nous subissons, notre société abuse des périphrases grandiloquentes pour biaiser les propos les plus simples en une curieuse partie de cache-cache langagier. On se demande si nous ne sommes pas finalement « en danger de silence », pour parodier un beau titre de Catherine Enjolet.

Prenez la violence faite à une gamine par une bande de jeunes violeurs, cela s'appelle maintenant du « viol en réunion » - réunion de quoi ? du conseil municipal ?... Le mot « réunion », je l'accorde, fait notable ; il décolle bien du sordide de la situation que les voyous eux-mêmes nomment une « tournante », ainsi on ne pense pas à « association de malfaiteurs ».

Toujours plus fort : un ami a entendu sur France Inter cette « incivilité » appelée « viol par pluralité d'auteurs ». Dieu que cela est élégamment formulé ! Et un essaim d'abeilles, c'est une « pluralité d'hyménoptères » ?

Un livre récent de Pierre Merle (Précis de français précieux au XXIème siècle La Renaissance du Livre, 176 p.) attribue ce travers verbal à une poussée de préciosité chez les Français - particulièrement ceux que l'on convie sur les ondes pour s'y voiler la face en famille - la télévision étant « à mi-chemin entre les salons de jadis et les bistrots du coin de naguère, un des principaux pourvoyeurs de modes et de mots ». Il s'agirait, selon l'auteur, d'un « désir de code » fort semblable à celui qui animait les précieux du siècle de Louis XIV - il y a sans doute des traces des fameuses « commodités de la conversation » dans l'utilisation du mot « émergent », par exemple, qui redore à présent le blason de la « nouveauté ». A force d'avoir servi à tout depuis trente ans, le « nouveau » a perdu sa vigueur persuasive. On parle de « mode émergente » pour une nouvelle toquade et d'« activité émergente » pour n'importe quelle forme d'occupation ou d'industrie nouvelle.

La « formation à la gestion de la violence » a également beaucoup d'allure dans le registre des préciosités: « Brillante formule utilisée par le ministre de l'Éducation Jack Lang le 27 février 2001 sur TF1 », précise Pierre Merle qui tient scrupuleusement ses fiches à jour. La phraséologie alambiquée suppose de surcroît que « la violence à l'école est un fait acquis, puisqu'il s'agit désormais de la gérer ». On peut s'attendre, accessoirement, à une épreuve de karaté dans les futurs concours de l'agrégation... Merle, persifleur, se moque de la « pédégère », version femelle du pédégé (PDG, souvent abrégé en dégé, DG, dans la conversation branchée).

Si nous étions encore des drôles, nous chanterions là-dessus la vieille chanson sur la « boulangère » dont les écus ne coûtent guère. Et à propos d'écus, que penser d'une élégante périphrase proposée entre autres par Le Monde (le 24 mai 2001) : « Personne en situation de précarité économique et sociale » ? Ah les pauvres ! Que les voilà vertueusement repeints !...

Puisque nous fêtons Victor Hugo, pourquoi ne pas moderniser son titre phare en version « émergente » ? « Les personnes en situation de PES » remplacerait agréablement le vulgaire « Les Misérables ». Le Précis de français précieux au XXIème siècle comporte ainsi un lexique à la fois cocasse et atterrant à l'usage de ceux « qui souhaiteraient rattraper le temps perdu ». Je suis surpris, pour ma part, qu'aucun journal satirique - il en existe d'excellents - n'ait eu l'idée de répertorier au jour, à la semaine, ces énonciations cachottières, ces mignardises médiatiques, dans une rubrique dont je fournis le titre gracieusement: « O Tartuffe, reviens ! »

 

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