L'ÉCRITOIRE SÉGALINE

                                                  service d'aide à la rédaction


 
 

Bernard Lecherbonnier, Choisir le mot juste

Samedi 3 Mars 2012

Bernard Lecherbonnier, Choisir le mot juste

Parmi mes récentes lectures, il y a ce petit essai de B. Lecherbonnier, Choisir le mot juste, ou comment éviter les erreurs de langage les plus courantes. Cet ouvrage se veut non pas un « art du bien parler » mais plus simplement les réflexions d’un amoureux de la langue sur les erreurs, les abus et les dérives de langage dans l’utilisation qu’en font certains, bref tout ce qui l’agace dans ce qu’il lit ou entend.

En voici un extrait qui traite de ce serpent de mer qu’est la réforme de l’orthographe et plus généralement de l’évolution de la langue française, notamment dans son enseignement : grandeur et décadence du français en quelque sorte, sans élitisme mais avec bon sens.

 

« Chaque époque met plus particulièrement en avant un certain nombre de points faisant débat et non résolus. Ce genre de retour en arrière nous incite tous à l’humilité et à la tolérance : l’usage finit souvent par primer et dans les cas où la compréhension et la richesse de la langue ne sont pas menacées, sans doute faut-il s’en accommoder. Mais cette optique tolérante ne doit pas pour autant déboucher sur une position laxiste. Je considère pour ma part que le linguiste ou l’amateur éclairé, qui a de l’intérêt pour les questions de langue, doit cultiver une attitude à la fois ouverte aux innovations, rebelle aux abandons prématurés et, je le répète, intransigeante quand la clarté, voire la subtilité, de l’expression orale ou écrite, est menacée, que ce soit par ignorance, snobisme ou relâchement. J’ai souvent l’impression que les grammairiens et les lexicologues, soucieux d’inscrire leur nom dans l’histoire du français, sont prêts à sacrifier un pan de la langue à leur vaniteuse gloriole. Dans le passé les écrivains rééquilibraient les abus de la paranoïa grammairienne. Leur influence a diminué au même titre que celle de l’Académie française à l’avantage de comités Théodule, composés de théoriciens écrivant pour la plupart comme des manches de pioche, qui fabriquent des réformettes d’antichambre. C’est ainsi que seraient nés dans les dernières années une réforme de l’orthographe et des décrets sur la féminisation des titres qui relèvent de la fantaisie technocratique. L’intention de simplifier l’orthographe est louable, mais le résultat n’est pas à la hauteur. Plus grave, une enseignante raconte dans un livre récent qu’elle s’est fait tancer par un inspecteur qui l’avait surprise à faire un cours de grammaire en cinquième. Des sanctions sont prises contre les maîtres qui veulent continuer d’enseigner le passé simple ou le subjonctif aux élèves : sans jamais en avoir informé la nation, l’inspection générale, le sérail privé du ministre de l’Éducation, a autorisé dans les programmes scolaires des coupes sombres attentatoire au génie de la langue. Comment s’étonner ensuite de ce qu’on entend à la radio et de ce qu’on lit dans la presse ?

Dans le primaire, depuis les années 70, l’institution a progressivement diminué de 630 heures le temps dédié à l’apprentissage du français. un ré-équilibrage mesuré était nécessaire en faveur d’un éveil de la curiosité en d’autres matières aussi passionnantes et importantes que l’histoire ou les sciences. Mais est-ce vraiment ce qui s’est produit ? Le balancier a été trop loin. Je suis convaincu que sacrifier les contenus disciplinaires pour transformer le cours de français en une sorte d’animation conviviale fondée sur la spontanéité des élèves (pour reprendre l’expression de Xavier Darcos, ancien ministre délégué à l’enseignement scolaire) a considérablement appauvri la formation des élèves. Cela vaut pour la connaissance de la grammaire comme pour celle de la littérature. Alain Viala, conseiller de deux ministres de l’Éducation successifs, déclarait crânement dès 1979 : « Les textes ne sont plus porteurs d’une vérité dont l’enseignant serait l’accoucheur. » Fermez le ban. Quelle plus belle définition, pourtant, du métier de professeur que celle d’ « accoucheur de savoir » ! Est-il besoin d’ajouter que ces manquements organisés aux missions de l’école desservent beaucoup plus les élèves de milieu défavorisé que ceux à qui leurs parents se feront un plaisir ou un devoir d’expliquer telle règle grammaticale ou tel texte classique ?

Le linguiste Alain Bentolila a souvent rappelé, dans ses travaux sur l’illettrisme, que « le sentiment d’enfermement qui naît de l’incapacité à exprimer sa pensée favorise souvent le passage à l’acte violent ». Le beau film L’esquive l’illustre fort bien. Mais pour s’exprimer avec efficacité, il faut connaître les bons outils et apprendre à s’en servir... C’est, n’en déplaise aux apprentis sorciers, le rôle de l’école.

Le monde économique et de la haute administration n’est pas exempt non plus de responsabilité, loin s’en faut, dans le mésusage et la déperdition du français. Les conseils d’administrations de nombreux grands groupes français se tiennent en anglais, les correspondances d’entreprise française à entreprise française s’échangent de plus en plus en anglais, Martin Bouygues diffuse ses notes internes en anglais. Louis Schweitzer, pur produit de l’élite à la française, a généralisé l’anglais dans les comptes rendus de réunion lorsqu’il était président de Renault. […] À quoi sert que le français soit une des langues officielles de travail de la Communauté Européenne si Pascal Lamy ou Nicole Fontaine utilisaient presque exclusivement l’anglais alors qu’ils étaient respectivement Commissaire et Présidente du Parlement ? En juin 2004, Jean-Claude Trichet, Président de la Banque Centrale Européenne, s’est adressé au Parlement européen en anglais. Il est vrai qu’il n’en est pas à son coup d’essai : quand il dirigeait la Banque de France, il adressait les publications de cette vénérable institution aux autres banques françaises en anglais... Le désir d’être plus vite compris par le plus grand nombre, le devoir d’efficacité, que l’on doit bien sûr comprendre dans certains cas, n’excusent pas que, avec leurs hautes responsabilités, les personnages qui viennent d’être cités méprisent leur langue au point de ne plus la parler. »

 

Partagez sur les réseaux sociaux

Catégorie

Autres publications pouvant vous intéresser :

Commentaires :

Laisser un commentaire
Aucun commentaire n'a été laissé pour le moment... Soyez le premier !



Créer un site
Créer un site